"Parfois, mes goûts naturels se réveillaient comme un incendie longtemps couvé. Par une sorte de mirage ou de calenture, moi, veuf de toutes les femmes que je désirais, dénué de tout et logé dans une mansarde d'artiste, je me voyais alors entouré de maîtresses ravissantes ! Je courais à travers les rues de Paris, couché sur les moelleux coussins d'un brillant équipage ! J'étais rongé de vices, plongé dans la débauche, voulant tout, ayant tout ; enfin, ivre à jeun, comme saint Antoine dans sa tentation. Heureusement, le sommeil finissait par éteindre ces visions dévorantes ; le lendemain, la science m'appelait en souriant, et je lui étais fidèle. J'imagine que les femmes vertueuses doivent être souvent la proie de ces tourbillons de folie, de désirs et de passions qui s'élèvent en nous, malgré nous. De tels rêves ne sont pas sans charme : ne ressemblent-ils pas à ces causeries du soir, en hiver, où l'on part de son foyer pour aller en Chine ? Mais que devient la vertu, pendant ces délicieux voyages où la pensée a franchi tous les obstacles ?"
Honoré de Balzac, la Peau de Chagrin, chapitre II, pages 104-105 éditions Garnier Frères 6 Rue des Saints-Pères, Paris 1960.